Testament


Le devoir de tout Maître, qu’il soit maçon ou non, est de transmettre. Transmettre quoi ?  Ce qu’il a reçu nous est-il dit.  Oui, mais voilà, un Maître n’est pas un professeur.  Le professeur transmet un savoir, ou un savoir faire, l’un et l’autre sont indépendants de sa personnalité.  Un Maître initie, lui aussi, à des connaissances, en revanche le savoir faire qu’il transmet ne peut être que le sien.       À virtuosité égale, un disciple de Yehudi Menouhim, ou de Stéphane Grappelli, ne communiera pas de la même façon avec son violon.  Les trompettistes Louis Armstrong ou Maurice André n’ont évidemment pas eu les mêmes Maîtres.  Est-ce à dire que les disciples sont condamnés à être des clones de leur Maître ?  Que Nenni ! Comme aurait dit notre B.A.F. Jean-Marc.  Tous les compositeurs, que ce soit en musique classique, en jazz, où en Hard Rock, ont commencé par être les fans de musiciens qui les ont précédés.  Ce n’est pas pour autant qu’ils les ont plagiés.  Il n’est pas inutile de rappeler ici que dès la cérémonie de réception, le second surveillant remet le maillet entre les mains du nouvel apprenti. Nul ne pouvant tailler la pierre brute à la place d’un autre, chacun est responsable de son propre cheminement initiatique.  J’insiste : Chacun est responsable de son propre cheminement initiatique.  

Point final pour ce préambule.  

 

Ceci étant dit, à 82000 kms au compteur, le passage à l’Orient Éternel se fait proche. Le temps me semble venu de faire, à l’attention des Frères et des Sœurs de notre Loge, ce que j’appellerai, faute de mieux, mon Testament.  Le mot Testament est un dérivé du mot latin Testimonium qui signifiait à l’origine Témoignage.

 

Premier point :  Rassembler ce qui est épart.  Nous venons tous d’horizons différents. Parmi les Frères ou les Sœurs dont je garde avec émotion le meilleur souvenir, je citerai : deux bouddhistes, un druide, un initié au chamanisme, trois rosicruciens, deux soufis, trois psychologues, deux alchimistes, et quelques chrétiens bien sûr.  Tous excellents maçons du R.E.R.   Nous regardions ensemble dans la même direction. Chacun d’entre eux  s’intégra avec enthousiasme à notre Rite, presque tous sont aujourd’hui, ou ont été, Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte. 

La raison en est simple, le processus initiatique étant inhérent à la nature humaine est universel. Quelque soit l’appartenance spirituelle, les étapes sont identiques. Déjà, au temps de Jésus, les gnostiques avaient adhéré à l’enseignement du Maître en fonction de leur propre culture.  Les seuls échecs d’intégration dont j’ai le douloureux souvenir sont dus à quelques frères chrétiens intégristes, ou adeptes de philosophies radicalement rationalistes.  

 

Deuxième point :  Une voie initiatique.  Chacun sait que la Voie proposée par le R.E.R. est une Voie initiatique.  Que faut-il entendre par là ?  Toute organisation initiatique, quelle qu’elle soit, a pour vocation de proposer à chacun de ses adeptes une métamorphose spirituelle, mais aussi les voies et les moyens d’y parvenir.   Chaque initié est invité à opérer un processus de transformation intime, incluant tout à la fois le corps, l’âme, et l’esprit.  La première étape se fait en Loges bleues. Le corps et l’âme - qui sont indissociables - y sont préparés à la pratique des Vertus indispensables à la poursuite du parcours.  C’est la raison pour laquelle il nous est dit que la maçonnerie est une École de Vertus. Rappelons que par maçonnerie les Constitutions d’Anderson ne reconnaissent que les Trois premiers grades  L’étape suivante, l’épanouissement de la nature spirituelle propre à tout chemin initiatique se fera plus tard.  Il faudra attendre que la pierre brute devenue cubique, soit suffisamment taillée pour être susceptible d’entrer dans la construction annoncée.  Rappelons à ce propos ce que déclare le Maître à son disciple Simon, surnommé Pierre : « je le déclare, tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon assemblée, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. »  J’ai bien dit « Assemblée », car au moment où parlait le Maître, le mot grec Ecclésia que l’Eglise à adroitement traduit trois siècles plus tard par Église, n’a jamais voulu dire autre chose qu’Assemblée.  Le Maître promettait à Simon, désormais Pierre, de devenir UN,  c’est à dire de réaliser en lui l’assemblée, la fusion parfaite du Corps de l’âme et de l’Esprit, finalité de toute Voie initiatique.   Les psychologues ont d’autres termes pour exprimer cela.   J’ai souvent entendu des FF. se scandaliser de tels propos : « On ne parle pas de cela en Loges Bleues ! », ai-je souvent entendu.   C’est ce qui se dit en effet dans bien des Loges qui pratiquent d’autres rites que le nôtre. 

  En effet, au Rite Écossais Rectifié les impétrants sont acceptés par cooptation et leur parrain, ou leur marraine, se portent garants de ce qu’ils soient déjà éveillés, d’une manière ou d’une autre, à la spiritualité.   De ce fait, les Apprentis et les compagnons de Formosa sont des Frères et des Sœurs à part entière et, grâce à leur serment, ont droit aux mystères qu’il est interdit de dévoiler aux profanes.    

 

Troisième point :  Notre Rite est chrétien.  Notre Règle maçonnique proclame : « L’Évangile est la Loi du Maçon, si tu cessais d’y adhérer, tu cesserais d’être maçon. »  Pourtant, me direz-vous, nos rituels ne font aucunement référence aux évangiles.  Certes, mais nos rituels ne peuvent se comprendre pleinement qu’en les associant, en amont, à la Règle Maçonnique particulière à notre Rite.  Or notre Règle maçonnique spécifique, établie lors du célèbre Convent de Wilhelmsbad, est une reformulation, chapitre après chapitres, article après articles des recommandations évangéliques, généralement connues sous le nom de Béatitudes, que nous ne trouvons nulle part ailleurs mieux formulées que dans les chapitres V à VII du selon Matthieu.  Comme Mr Jourdain qui parle en prose sans le savoir, il se trouve que de nombreux maçons vivent pleinement l’Évangile sans le savoir. 

 

 Mais les Bouddhistes, le Druide, les Soufis, etc., me direz-vous.  Chacun d’entre eux a compris que le R.E.R. distinguait les écrits évangéliques des religions qui s’y réfèrent.  L’Évangile ne comporte aucune théologie, aucun dogme.   Ceux-ci sont inventions intellectuelles élucubrées postérieurement aux évangiles.  Le Maître a dispensé un enseignement pragmatique des vertus universelles qui font la base de nos trois premiers Grades.  Quant à la spiritualité que le Maître enseigne, force est de constater qu’il n’a jamais demandé que l’on s’adresse ni à lui, ni à sa mère, ni aux prophètes qui étaient en quelque sorte les saints d’alors. Il ne nous a désigné qu’un seul Seigneur, Notre Père, Notre Source. Le Maître ne s’est jamais adressé qu’à LUI.   LUI, que nous désignons par le vocable « Dieu »  Ne soyons pas effrayés par ce mot. Le mot Dieu, n’est en aucun cas un nom propre. Nous pouvons affirmer, avec un certain rationalisme, que c’est le mot que les judéo-chrétiens ont choisi pour désigner le fruit d’une intuition immémoriale, celle de l’omniprésence de forces invisibles, cependant animatrices  de toutes les composantes de l’univers.   Qu’on se réfère à l’inexprimable, en fonction de sa culture, en l’appelant Dieu, Allah, Notre Père, Grand Architecte, Tao originel au-delà de l’Un, Esprit transcendant, Source unique, etc., Il n’y a qu’un seul Dieu. 

  Ce que les musulmans, particulièrement les Soufis, traduisent par cette acte de foi : La illâha illâ Llâh : Il n'y a de Dieu que Dieu. 

 

Quatrième point :   Je viens de parler de spiritualité.   Dans toute Voie initiatique, le néophyte est invité à suivre, étape après étape, un long cheminement qui lui permet, en suivant une étique comportementale éprouvée, de dépasser sa nature charnelle, grâce à l’éveil suivi de l’épanouissement de ce qui est latent en tout être humain, sa nature spirituelle.   La pratique de cette étique comportementale éprouvée fait l’objet, au R.E.R., des trois premiers grades.  Certains excellents Frères, excellentes Sœurs, peu enclins à la spiritualité, quelles qu’en soient les raisons, arrêteront leur parcours maçonnique à cette pratique des Vertus. Nous n’avons pas à en juger.  Rappelons-nous que le Maître affirmait : « Ce n'est pas celui qui m'aura dit : Seigneur, Seigneur, qui entrera au royaume des Cieux, mais celui qui aura accompli la volonté de mon Père céleste » (Matthieu 7, 21)  Tout Frère, toute Sœur qui pratique les Vertus enseignées par le R.E.R. accomplit la Volonté du Père Céleste.   Cependant, pour les Frères et les Sœurs familiers de la spiritualité, qu’ils soient chrétiens, Soufis, Bouddhistes, Druides, ou autres, cette première étape, basée sur l’enseignement universel que contient l’Évangile, n’est qu’une phase préparatoire.   Après une longue pratique, d’échec en échec, avec de la persévérance, du courage, et de l’intelligence, nous sera-t-il rappelé au second grade, le comportement spontané du maçon s’approchera de plus en plus de la perfection souhaitée, symbolisée en maçonnerie par la Pierre cubique.  Les religions appellent abusivement cette perfection la sainteté.   Car cette sainteté n’est pas une fin en soi. Il s’agit tout simplement d’une mise aux normes indispensable à toute progression au sein de ce que l’Évangile nomme « le royaume de Dieu » que je préfère nommer, en ce qui me concerne, le domaine de l’Inconnaissable, ou la Théosphère.  À Antioche, avant d’être qualifiés de « chrétiens », les membres des premières communautés de disciples furent appelés « les hommes de la voie ». Sur la voie, ou en chemin, se dit en latin : in itio.   Ces premiers disciples étaient des initiés selon la Voie enseignée par ce Maître que les évangiles ont rapidement surnommé Christ.   C’est cette Voie chrétienne primitive, avant que les religions ne se mêlent d’y adjoindre dogmes, mystères, et théologie, que le R.E.R. entend promouvoir, notamment en demandant à chacun d’aller porter parmi les autres hommes les vertus dont il a promis de donner l’exemple. 

 

Cinquième point :  Que le Maître que les évangélistes ont appelé Christ soit individuellement considéré comme un Grand initié, un Maître, un prophète, un inspiré, un bouddha ou un bodisatva, est parfaitement légitime, ce qui importe c’est l’adhésion à l’enseignement dont les évangiles font de lui le transmetteur.  Quant à la théologie, inséparable de tout enseignement religieux, elle est exclue pour la raison incontournable que personne n’est capable, théologiens compris, de connaître l’inconnaissable.   Ce qui aboutit en maçonnerie à cette mise en garde : Il est interdit de parler de religions en Loge.  

 

Sixième point :  Chacun comprendra, d’après ce qui précède, qu’au-delà des premiers grades préparatoires, l’admission dans l’Ordre intérieur n’est  en aucun cas une distinction accordée à des FF. ou des SS. au regard de leurs qualités maçonniques cependant incontestables, Il s’agit encore moins : - d’une récompense pour bons et loyaux services - d’une promotion qui s’obtient à l’ancienneté  L’Ordre Intérieur n’est en aucun cas une Légion d’honneur.   Il s’agit d’une Chevalerie spirituelle dont la mission est de défendre et promouvoir la spiritualité et les valeurs essentielles du Christianisme.  Les membres de nos Loges bleues qui ne sont pas enclins à la spiritualité doivent loyalement et humblement prendre acte de cela.   Ils sont cependant nos Frères ou nos Sœurs à part entière, membres biens aimés de notre Egrégore et de notre chaîne d’union.  Que l’on soit enclins à la spiritualité ou non, que l’on soit chrétiens, bouddhistes, Soufis, que l’on soit érudit ou non, nous sommes tous égaux face à l’indicible.   Que chacun agisse conformément à sa conscience en pratiquant en toutes circonstances le juste comportement que nous propose notre rite, tout le reste viendra par surcroit. 

 

Septième point :  Nous venons tous d’horizons différents.  Le parcours initiatique du R.E.R. fait nécessairement écho, chez chaque Frère ou Sœur, à des références qui lui sont propres, psychologiques, philosophiques, ou spirituelles.   Le R.E.R. reprend à son compte, en dehors de toute religion, la Voie originelle du Christianisme. Cette Voie est universelle, elle permet à tous de regarder ensemble dans la même direction. 

 

Huitième point :  Je vous disais en préambule : un Maître ne peut transmettre que sa propre expérience.  

 Or, la progression initiatique ne se transmet pas par osmose, du seul fait d’une présence assidue aux Tenues.  Un Maître qui ne travaille pas, sera sans aucun doute estimé en tant que bon et fidèle Compagnon, prompt à rendre service et apprécié de chacun, les apprentis n’auront cependant pas grand-chose à apprendre de lui.  Aussi rappellerai-je cette parole du Maître Galiléen : « Cherchez et vous trouverez. Frappez et l’on vous ouvrira »  Le Maître bouddhiste Matthieu Ricard nous explique qu’il a fréquenté consécutivement trois Maîtres différents, au fur et à mesure de l’avancée de sa quête.  Quelque soit notre grade, rappelons-nous cet avertissement du V.M. au soir de notre réception : « Monsieur (ou Madame), je ne saurais assez vous le dire, et vous ne sauriez en être trop convaincu, celui qui dans les ténèbres veut se diriger lui-même, et marcher sans guide, s’égare et se perd. »  N’hésitons pas à solliciter, quel que soit notre grade, le secours d’un Frère ou d’une Sœur qui nous semble plus avancé dans le domaine qui nous préoccupe.   Que les Apprentis ou les Compagnons n’aient aucune crainte, les directeurs de conscience, c’est pour les religions, pas pour la Francmaçonnerie. Tout maçon ou maçonne est homme ou femme libre, au sein d’une Loge Libre. Qu’un Maître vous donne son point de vue, ce ne sera que dans le seul but de vous permettre de vous forger le votre.  Il est un avertissement donné par le V.M. dès le second grade qui mérite d’être médité : « L’Apprenti se fait toujours illusion à lui-même ; il s’applaudit ordinairement de ses moindres efforts ; il admire son ouvrage quoiqu’il soit encore très irrégulier et rempli de défauts ».  Rien n’est plus néfaste à une Loge qu’un Maître qui se comporte, au regard de cet avertissement en Apprenti, qui fait un scandale de la paille qui se trouve dans l’œil d’un Frère alors qu’il ignore la poutre qui se trouve dans le sien.  

 

Neuvième et dernier Point : Conclusion.  

Mon expérience, vous l’avez tous compris, est celle d’un ancien du R.E.R., fan inconditionnel de l’enseignement initiatique transmis par les évangiles.   Mon vœux le plus cher serait que, au-delà de moi, chaque Frère, chaque Sœur de Formosa, tout en restant soi-même, gardant sa propre sensibilité, puisse suivre jusqu’à son terme, telle que je l’ai vécue, cette merveilleuse Voie initiatique que nous propose le R.E.R.  Je me souviens des propos d’un ancien, le soir de ma réception : « Tu verras André, il t’arrivera parfois d’être déçu par un Frère, mais jamais par la Franc-Maçonnerie ».  Que chacun sache que je ne suis pas déçu, mais heureux et fier de finir mon parcours à Formosa parmi des Frères et des Sœurs parfaitement à la hauteur de ce que m’a apporté, depuis le premier jour, le Rite Écossais Rectifié.  

 

Pax vobiscum. Salam aleycum, La Paix soit avec vous.

 

André V.